Evolution de la matière organique du sol
La décomposition des résidus végétaux par les microorganismes entraine l’évolution de la MO depuis une matière organique fraiche jusqu’à sa stabilisation sous forme d’humus. Au fur et à mesure de cette décomposition, les métabolites et matériaux cellulaires liés à l’anabolisme microbien sont relâchés dans le sol à la mort des cellules et y sont soumis à leur tour à la décomposition (Cotrufo et al., 2013; Lehmann and Kleber, 2015). Cependant, sous l’action de phénomènes chimique, une part de ces résidus microbiens se complexe peu à peu à la phase minérale (argiles, oxydes de fer et d'aluminium) leur permettant d'échapper à l'action des enzymes, pour donner à très long terme une matière organique sous forme de complexe organo-minéraux, qui est l’humus. Ainsi, l’humus a principalement une signature microbienne, qui lui confère cette richesse en N et P. Sa récalcitrance provient donc d'une stabilisation chimique de la matière organique dans le sol. La MOS peut également être physiquement protégée de la décomposition via l’occlusion dans des agrégats ou par encapsulation hydrophobique (Dungait et al., 2012; Cotrufo et al., 2013). Cela rend ainsi la MOS inaccessible aux enzymes extracellulaires et engendre des contraintes environnementales limitant l’activité microbienne. En effet, quand un résidu végétal est incorporé au sol, les microorganismes à sa surface commencent leur travail de décomposition et sécrètent des exopolysaccharides qui vont les protéger de l’environnement extérieur mais également agréger des particules minérales pour former des micro-agrégats. La décomposition se continue à l’intérieur de ces micro-agrégats jusqu’à ce que les microorganismes soient limités par les conditions environnantes. La stabilité structurale du micro-agrégat empêchant tout apport nouveau venant de l’extérieur (O2, nutriments…), la MOS est donc physiquement protégée de la décomposition. La protection physique permet une stabilisation de la MOS sur le moyen terme tandis que son adsorption sur les minéraux permet une stabilisation sur le long terme (Dungait et al., 2012; Cotrufo et al., 2013).
Le Priming Effect
Le priming effect (PE) est une stimulation de la minéralisation de la matière organique du sol suite à l’apport d’une matière organique fraiche. Ce phénomène observé depuis moins d’un siècle peine toujours à être expliqué car il cache différents processus microbiens impliquant leurs propres acteurs, leurs propres déterminants et ciblant différents pools de matière organique. Ce manque de compréhension a fait que ce phénomène n’est généralement pas inclus dans les modèles de prédiction de flux de carbone fréquemment utilisés pour les scénarios de changement climatique. Pourtant il semble important de le prendre en compte car en fonction du processus impliqué, il peut être soit une stimulation de la voie de l’humification (enrichissement, stockage) soit à l’inverse une stimulation du déstockage de matière organique et donc d’appauvrissement des sols. En effet, on peut différentier le « PE stoechiométrique » qui cible une matière organique jeune dont la décomposition est accélérée par l’augmentation de la libération d’enzymes extracellulaires en réponse à l’arrivée dans le milieu d’une matière organique encore plus jeune et donc de qualité énergétique supérieure. A l’opposé, le PE par « nutrient mining » est généré par la libération de catabolites provenant de la décomposition de cette matière organique fraiche qui vont apporter de l’énergie aux organismes qui décomposent généralement une matière organique plus évoluée énergétiquement pauvre mais à l’inverse riche en N et P. Ces deux processus peuvent générer du PE dans le même système, de façon simultanée ou échelonnée dans le temps. Pour le moment, le seul déterminant ayant été décrit comme contrôlant l’équilibre entre ces deux processus est la teneur en azote disponible dans la solution du sol. Plus cette teneur augmente plus le PE stoechiométrique est favorisé au détriment du PE par « nutrient mining ».
Les acteurs de la minéralisation des matières organiques
Face à l’impressionnante diversité des microorganismes dans le sol, l’un des grands enjeux en écologie microbienne aujourd’hui est d’arriver à identifier le rôle de chacun dans la décomposition des matières organiques. Notre objectif, au-delà de cette simple mise en relation de l’identité avec la fonction, étant de faire intervenir cette relation au sein d’un modèle, nous ne pouvions pas en intégrer toute la complexité. Nous avons dû définir quelques groupes fonctionnels importants pour les processus étudiés. Nous nous sommes basés sur la littérature existante et nous avons choisi la terminologie de Moorehead et Sinsabaugh (2006). Dans cette terminologie, les microorganismes sont répartis selon leur affinité pour une certaine qualité de matière organique. Ils ont ainsi défini 3 guildes :
(1) les opportunistes, qui utilisent la matière organique labile et facilement assimilable,
(2) les décomposeurs qui s’attaquent à la matière organique plus réfractaire comme les tissus végétaux et
(3) les mineurs qui déstabilisent la matière organique humifiée du sol.
Par contre, d’après ces auteurs, les opportunistes sont essentiellement bactériens, les décomposeurs actinomycètes et les mineurs fongiques. Nous avons préféré travailler sans à priori et nous sommes partis du principe que bactéries et champignons pouvaient être répartis dans chacune de ces guildes. D’après nos hypothèses les décomposeurs seraient les acteurs du PE stoechiométrique et les mineurs les acteurs du PE par « nutrient mining ».